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Chroniques
Jacques Lenot
pièces pour piano
Presque trente ans de pièces pour piano – les sonates (1971-80) furent-elles reniées ? –, c’est ce que propose le label Intrada avec cette « intégrale » consacrée à Jacques Lenot (né en 1945), un créateur largement autodidacte développant une œuvre variée – de la miniature à l’opéra [lire notre chronique du 29 janvier 2007], en marge des institutions musicales. On connaissait déjà la plupart de ces compositions disponibles dans un premier volume en 2004 [lire notre critique du CD], puis dans un second l’année suivante. À l’époque, c’était un événement puisqu’à part quelques-unes crées en concert, de loin en loin – par Philippe Gueilt (dès 1983), Dominique My ou Jacques Raynaut –, la majorité d’entre elles rencontrait le public grâce à son enregistrement en première mondiale.
Avant de rendre compte d’un troisième volume inédit, attardons-nous sur les deux premiers, de manière chronologique. Dans les années quatre-vingt s’ébauchent Cités de la nuit (1981/2005), We Approach the Sea (1982), Six premières études (1985/89), ainsi que quelques éléments du Premier Livre des Préludes (1986-96). L’« extravagant » Cités de la nuit, aux climats tranchés, avoue un esprit schumannien, souvent présent dans ces années-là comme le montre Fantasque, l’une des neuf pièces écrites durant l’hiver 1985-86, qui ont mené aux Six premières études, un cycle où virtuosité et fébrilité alternent avec une tranquillité mystérieuse et inquiète. Triptyque qui s’annonce tout vibrant de tremolos, We Approach the Sea inaugure une thématique aqueuse que l’on retrouve à l’écoute des vingt-quatre Préludes des Premier et Second Livre (1996) : outre des titres explicites, on y croise averses (Falling Skies), cascades (If there were…), bouillonnements (Ô toi, désir…), clapotis (Car l’onde s’est tue) et autres scintillements perlés (Je t’interroge…). Ce trajet incessant de l’eau entre ciel et terre amène à signaler d’autres verticalités : celle de la spirale ascensionnelle, bien sûr, mais surtout ce martellement obstiné et têtu – voire crâneur sur D’un horizon dorien, ou même timide (Par temps gris), sans parler de l’aspect machine à coudre de C’étaient de très grands vents –, des plus récurrents. De ce cycle qui amalgame « des études inabouties, des nocturnes, des impromptus » de durée variable (2’04’’ à 8’54’’), souvent inspirés par des poètes ou dédiés à des confrères et joués ici dans le désordre, le repos ne fait pas partie : tout chemine toujours, même si c’est à l’aide de cahots et de balancements.
« La radieuse intelligence de Winston Choi, sa technique étincelante, son instinct, son souffle et sa grâce donnent un sens à ma musique : donc à ma vie ! ». La rencontre du Français avec le pianiste canadien (né en 1977) qui s’avèrerait un fidèle serviteur de son œuvre [lire notre chronique du 7 avril 2008] remonte à décembre 2003, dont découlent le « tempétueux » Burrascoso et L’esprit de solitude (2004), mais aussi, du propre aveu de l’aîné, « une nouvelle période d’écriture ». Ce sont les fruits de celle-ci que nous offre à goûter le troisième volume disponible. Ainsi se succèdent Errante, Mascaret, Avant le jour (2006), Dramatis personae, Ils traversent la nuit, Sans soleil (2007) et Agalma (2008).
Comme des années plus tôt, on retrouve ces ascensions (escaliers ou tourbillons) qu’on entrave avec régularité dans leur déroulement, ces avancées résignées, quand bien même elles titubent ou traînent un fardeau. La verve caractérise Inscriptions (1987/2006), une pièce pour deux pianos dont Choi a enregistré puis superposé chaque partie, et qui se réfère à un compositeur que Lenot a réellement découvert en 1982, lors d’un récital de Sviatoslav Richter (salle Gaveau), « devant un public clairsemé et effaré par le programme entièrement consacré à Karol Szymanowski ».
LB